Dans une société traumatisée par la Seconde Guerre civile, la charte de la vie vient d’être signée. Elle stipule que l’on peut « fragmenter » un adolescent âgé de treize à dix-huit ans. La fragmentation consiste à « résilier » un enfant rétroactivement sans y mettre techniquement fin. Connor, Risa et Lev se retrouvent tous les trois sur la liste fatale. Leur seule échappatoire : fuir, se cacher, survivre alors qu’ils sont traqués par les Frags, la police des fragmentés.
Alors que Risque Zéro envisage une société ultra-sécuritaire, Les fragmentés, autre roman dystopique, nous fait vivre un proche avenir où l’on se sert du corps d’ados récalcitrants ou pas assez performants -selon des critères assez discutables- pour des greffes. Une sorte de recyclage corporel à 100 %, âme comprise… On ne leur demande évidemment pas leur avis, leur fragmentation étant décidé par des parents souhaitant se débarrasser d’une trop lourde responsabilité en toute légalité, très facilement et avec un joli prétexte. Quelques familles font, elles, le choix de donner 1/10 de leur progéniture, en élevant un « décimé » dans la conscience de ce qui l’attend à 13 ans, portés qu’ils sont tous par la foi.
L’auteur nous dépeint une Terre où le corps est au final une marchandise, aux mains d’entreprises qui font leur business sur cette aberration, et où tout le monde, ou presque, est bien content de la situation qui permet d’alléger sa conscience à peu de frais, faisant peu de frais de l’amour qui unit parents et enfant, alors même qu’il est interdit d’attenter à la vie d’autrui (l’avortement est interdit, mais l’abandon autorisé bien que devant être totalement dissimulé).
Nous suivons le parcours de trois ados en particulier, chaque chapitre -court- leur étant consacré à tour de rôle, comme à quelques autres personnages. Le rythme est enlevé, les rebondissements nombreux et passionnants, permettant de découvrir souvent un aspect supplémentaire de la situation. On apprend vite à apprécier les trois jeunes gens, à espérer ou redouter avec eux ; on aime les voir évoluer au fil des pages, et on appréhende à travers leurs particularités les différents tenants et aboutissants de cette société si peu banale.
Les fragmentés, c’est aussi un roman sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte, fait de questionnements -moraux, existentiels notamment-, de prises de conscience ou d’aveuglements, de décisions plus ou moins bonnes. Mais cela nous livre aussi le portrait d’un monde lui-même fragmenté, où la population est divisé en deux camps : les pros et les antis, les obéissants et les résistants, sans que l’auteur soit pour autant manichéen, grâce à de subtiles nuances qui permettent d’adhérer à sa vision.
Bref : un livre passionnant et fort, qui interroge et qui fait réfléchir, notamment à l’heure de toutes ses greffes incroyables -visage, mains, etc…
Le petit plus : je devrais peut-être dire le petit moins ! Car Neal Shusterman est un auteur jeunesse primé de nombreuses fois outre-Atlantique, mais seul Les fragmentés a été traduit chez nous… Vivement que d’autres franchissent l’océan pour atterrir devant nos yeux ! A moins de les lire en VO…
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