Paris, 1870. Une série de meurtres sauvages semble obéir à une logique implacable et mystérieuse qui stupéfie la police, fort dépourvue face à ces crimes d’un genre nouveau. Le meurtrier, lui, se veut « artiste » : il fait de la poésie concrète, il rend hommage à celui qu’il considère comme le plus grand écrivain du XIXème siècle, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, dont il prétend promouvoir le génie inconnu.
Dans le labyrinthe d’une ville grouillante de vie et de misère, entre l’espoir de lendemains meilleurs et la violence d’un régime à bout de souffle, un ouvrier révolutionnaire, un inspecteur de la sûreté, et deux femmes que l’a vie n’a pas épargnées vont croiser la trajectoire démente de l’assassin. Nul ne sortira indemne de cette rencontre.
Ce livre a reçu le grand prix du roman noir français au festival de Cognac 2005 et le prix mystère de la critique 2005.
L’homme aux lèvres de saphir est un roman brillant, où la trame historique est magnifiquement retracée : ambiances, langages, faits historiques et personnages du quotidien de l’époque font revivre pour nous ces années 1870. Les différents protagonistes sont d’une telle richesse, attachants pour certains, repoussants, ignobles pour d’autres, que l’on y croit à chaque instant. On croise des figures célèbres comme le Comte de Lautréamont, Verlaine ou encore des syndicalistes. On côtoie tous les milieux, policiers, artistiques, ouvriers, politiques, racailles et autres qui se mêlent plus ou moins ; Le Corre plante ses décors de façon très réaliste, vivante : on entend les cris, les bruits, on sent les odeurs de Paris… Avez-vous l’excellente série Maison Close sur Canal + il y a peu ? On y retrouve le même genre d’atmosphère.
De plus, l’auteur émaille son récit de considérations scientifiques -l’autopsie-, syndicaliste -l’Internationale- ou sociétales -le statut de l’ouvrier par exemple- qui y apportent une profondeur qu’on ne trouvent pas dans tous les romans de ce genre.
L’intrigue, quant à elle, est complexe, croisant les destins d’hommes et de femmes de plus d’une manière. Elle nous emmène sur les chemins de la folie, de l’amour des mots, de l’amour du mal ou de l’amour tout court. Meurtres horribles, belles amitiés, amours étonnantes, nous allons d’un univers à l’autre, le tout formant la société française de 1870, à l’aube du conflit avec la Prusse.
Bref : un polar sur fond historique d’une réelle épaisseur et passionnant à tous points de vue. Pas une fausse note, vous auriez tort de passer à côté !
Le petit plus : Le serial killer (oui, oui !) est guidé tout au long par Les Chants de Maldoror de Lautréamont (dans ma bibliothèque d’ailleurs), dont je vous offre les premières lignes :
Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme
ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers
les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison; car, à
moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension
d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre
imbiberont son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde
lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer
sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans
de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant.
Place aux lecteurs