Jeliza-Rose a quitté Los Angeles pour une ferme décrépie du fin fond du Texas en compagnie de son père, un ex-rockeur héroïnomane. Livrée à elle-même, tandis que ce dernier demeure étrangement immobile dans son fauteuil en cuir, la fillette explore les alentours. De rencontres singulières et inquiétantes, elle plonge dans un monde où les trains deviennent des requins, où les écureuils se prennent pour Spiderman, où des Hommes des Marais prennent vie à la nuit tombée. A la croisée improbable d »Alice au Pays des Merveilles’ et de ‘Psychose’, ce roman happe le lecteur, guidé dans un univers déstabilisant, psychédélique et drôle par Jeliza-Rose.
Intriguée par le résumé et surtout par la mention d’Alice au Pays des Merveilles et de Psychose, tout comme par le fait que Terry Gilliam dont j’avais notamment adoré Le Baron de Munchausen en avait fait l’adaptation -passée inaperçue chez moi-, j’étais assez impatiente de découvrir ce roman. C’est le septième de Mitch Cullin mais le premier traduit en France, chez les excellentes éditions Naïve (bravo d’ailleurs pour la qualité du livre, du beau papier, une belle couverture…).
Voici un livre atypique, porté par une écriture qui m’a transporté, tout comme l’histoire. Mots terriblement évocateurs et visuels, qui oscillent entre le parler d’une enfant de 11 ans, d’une naïveté saisissante d’onirisme et le récit de Jéliza plus âgée, qui se raconte.
Tideland, c’est l’histoire d’une gamine délaissée par ses parents junkies, qui prépare les shoots de sa mère, de 40 ans la cadette de son mari, vieux rocker au succès plutôt derrière lui. Jeliza-Rose va fuir l’appartement familial en compagnie de son père, laissant derrière eux le cadavre de sa mère, morte d’une overdose, pour What Rocks, la maison familiale texane. Le père décède à son tour, et la gamine, bercée par le monde imaginaire de son père et par l’un de ses livres préférés, Alice au Pays des Merveilles, va continuer à vivre à ses côtés, qu’elle veut croire endormi.
Livrée à elle-même, Jeliza a pour toutes compagnes des têtes de poupée Barbie, avec qui elle dialogue sans relâche, bâtissant des histoires dans lesquelles elle évolue, vaille que vaille. Rencontres hallucinées ? hallucinatoires ? avec des écureuils, une femme fantôme, des lucioles, naviguant à bord d’un sous-marin, se trouvant un mari, elle emporte le lecteur dans un monde où la mort est à chaque instant présente. Taxidermie, démembrements, maquillage post-mortem transfigurent la faucheuse, que la gamine refuse d’accepter.
D’une maturité étonnante, Jeliza se réfugie dans un monde imaginaire pour mieux se protéger, dans un univers où elle est seule, comme toujours. Rêve t’elle d’un bout à l’autre ? Difficile de faire la part du vrai et du faux, tant certaines choses peuvent nous paraître insoutenables, et pourtant… pourtant, tant d’entre elles sont plausibles !
En bref, c’est l’histoire puissante et perturbante d’une enfant abandonnée par les adultes -ses parents- et de sa survivance. Les images les plus noires côtoient la féérie et la poésie. Chaque instant est prétexte à une aventure plus ou moins cruelle, plus ou moins merveilleuse, entre enfance et adolescence. Tideland, terre de marée, se transforme en océan où il faut tuer le méchant requin. Du mal en sortira peut-être le bien…
Le petit plus : En dehors de l’adaptation de Terry Gilliam dont je vous ai parlée plus haut, un petit jeu à faire sur le net avec la Magic Ball n°8. Et ici, vous pouvez retrouver une interview de Mitch Cullin.
Un extrait ?
Quand il s’agit des choses auxquelles on tient, rien ne doit ni mourir ni aller sous terre.
Merci qui ? Merci à Naïve Editions, et à Camille en particulier, pour l’envoi de ce livre, qui est une belle découverte, dérangeante et source de réflexions.
Place aux lecteurs